Lindsay Khan – Coureuse du mois
Transformation. C’est un terme riche en signification, qui est souvent utilisé pour représenter le fondement idéologique du succès, de la croissance et de la réalisation. Parfois, il implique aussi un sens quelque peu « magique », comme Cendrillon qui est transformée en belle du bal par sa fée marraine. Mais les athlètes savent qu’une transformation est le résultat d’un processus pas si reluisant (reculs, déceptions et difficultés).
Lorsque Lindsay Khan, épouse, maman, coureuse professionnelle au 10K d’Ottawa et membre de Courez Ottawa, décrit sa relation avec la course, elle la qualifie de « transformative ». Elle décrit son évolution de dix ans, passant de débutante à coureuse qualifiée pour le Marathon de Boston, qui lui a demandé beaucoup de dévouement et de volonté. (Et d’entêtement, comme elle en fait souvent preuve.)
« La course était un réel défi pour moi au début », explique-t-elle. « Ce n’était pas naturel pour moi. » Entendre une coureuse accomplie avouer cela peut vous sembler difficile à croire, mais attendez, vous ne connaissez pas encore toute l’histoire!
COMMENCER LENTEMENT
Lindsay a enfilé ses chaussures de course pour la première fois en 2006 avec un objectif simple en tête : courir un 5 km avec sa mère. « Si ma mère peut le faire, je peux moi aussi », précise-t-elle.
Le premier jour, elle s’est à peine rendue au panneau d’arrêt au bout de la rue. « Je me suis dit : ça y est, je ne pourrai jamais faire un 5 km », dit-elle en riant. « Mais je n’ai pas abandonné. J’ai continué. » Pour quelqu’un qui devait s’absenter des cours d’éducation physique au primaire, à son grand désarroi, en raison de graves problèmes de genou et d’asthme, le fait de relever le défi d’un 5 km était une grande étape.
Lorsqu’elle a participé au 5 km des Courses sur route de la fête du Canada à Brockville en 2006, l’épreuve ne s’est pas déroulée comme prévu. « J’ai dû arrêter au milieu de l’épreuve pour prendre une pause. J’ai délacé mes chaussures pour faire comme si j’avais une raison de m’arrêter. J’ai fait semblant. »
Cette décision est ce qui a tout changé. « J’étais tellement en colère », explique-t-elle. « Je voulais finir l’épreuve sans arrêter et ma mentalité a pris un nouveau virage : je voulais être meilleure et plus rapide. »
La course est devenue bien plus qu’une simple compétition avec elle-même. Après le décès soudain et inattendu de sa grand-mère, Lindsay a utilisé la course comme moyen de surmonter son chagrin et de canaliser son anxiété.
« Lorsque je fréquentais l’Université d’Ottawa, le canal Rideau était mon terrain de jeu », affirme-t-elle. « Je ne savais pas comment composer avec la situation alors je chaussais mes espadrilles et j’allais courir. »
DEVENIR PLUS FORTE ET ÊTRE CONSTANTE
Jusqu’à la naissance de son fils en 2012, Lindsay n’avait pas vraiment de rythme constant en ce qui concerne l’entraînement. Elle avoue n’avoir jamais couru en hiver et qu’elle n’aimait pas l’idée de payer pour aller courir sur un tapis roulant dans un gym.
Son fils Odin (que les amis du voisinage connaissent affectueusement sous le nom de Roi d’Asgard) a tout changé. La nouvelle famille a déménagé à l’extérieur de la ville, plus précisément à Russell (Ontario), juste avant sa naissance. Et vous ne devinerez jamais le premier achat que Lindsay a fait pour la nouvelle maison. Un tapis roulant pour installer au sous-sol! « Ça m’a permis de courir de façon constante », indique-t-elle. « Et exactement quatre semaines après avoir accouché, je suis allée dans le sous-sol et j’ai fait la plus courte course de ma vie, mais je me sentais moi-même à nouveau. »
C’était le début d’un nouvel engouement pour la course, mais elle était loin de se douter que la vie lui réservait de mauvaises surprises.
Toutes les femmes qui l’ont vécu vous le diront, une fausse couche est une expérience dévastatrice. Lindsay a fait non pas une, mais deux fausses couches avant la naissance de sa fille Lennon (en l’honneur de John Lennon). Mais elle n’était pas au bout de ses peines non plus.
« J’ai presque perdu Lennon aussi. Je pensais que je faisais une troisième fausse couche. Je suis donc allée à l’hôpital et on n’a pas entendu de fréquence cardiaque à l’échographie », se rappelle-t-elle. « Je ne comprenais pas puisque ma première grossesse s’est très bien déroulée. Mon corps avait déjà vécu l’expérience. Pourquoi ne pouvait-il pas le faire encore? »
Encore une fois, c’est vers la course que Lindsay s’est tournée. « Je me sentais forte et capable lorsque je courais. Je n’avais plus beaucoup confiance en mon corps après mes fausses couches, et la course me donnait un petit sentiment de contrôle. »
Le soir où elle pensait avoir perdu sa fille, Lindsay a regardé son mari et s’est dit : je ne vais pas endurer ça encore une fois. Elle s’est presque inscrite au Marathon d’Ottawa Banque Scotia 2015. Cinq jours plus tard, elle a appris une bonne nouvelle : le cœur du bébé était audible et elle allait bientôt donner naissance à une fille en pleine santé. Un vrai miracle!
« J’étais contente de ne pas m’être inscrite au marathon ce soir-là », dit-elle en riant. « Mais je savais que l’année d’après, j’allais y participer et que mon entraînement serait la célébration de Lennon et un projet de congé de maternité en quelque sorte. »
DIFFICULTÉS À LA LIGNE DE DÉPART
L’année suivante, l’entraînement pour le Marathon d’Ottawa Banque Scotia 2016 a été un processus intense. « Je pense que mon mari me trouvait folle », affirme-t-elle. « Au début, je n’ai pas parlé de mon projet à personne. »
Et c’était peut-être une trop grande aventure, trop tôt… Lindsay s’est blessée pour la première fois : elle s’est foulé l’articulation sacro-iliaque à peine huit semaines après le début de son entraînement.
« Je pensais devoir mettre le marathon de côté, mais je n’ai pas perdu espoir. J’ai plutôt modifié mon objectif initial, qui était de me qualifier pour le Marathon de Boston, à celui de simplement terminer l’épreuve (à condition que mon médecin m’autorise à courir, évidemment). »
Elle a fait de la physiothérapie et a pris son rétablissement très sérieusement. « Les premières semaines ont été difficiles. J’étais à la fois optimiste et misérable. Par miracle, mon médecin m’a dit que je pouvais courir quelques semaines avant le jour de la course. »
Lindsay était appréhensive au sujet de la course : elle craignait d’essuyer un autre échec si elle n’était pas au sommet de sa forme. Heureusement, son physiothérapeute était aussi un coureur (il avait déjà participé à des marathons) et il l’a aidée à établir un plan d’entraînement de quatre semaines, juste à temps pour le marathon.
« Notre plan était de courir 30 km pour commencer et de voir comment je me sentais, puis de passer à 20 km tout en faisant des courses de 10 à 12 km les jours de semaines. Le jour du marathon arrive enfin et je pensais que la chaleur allait tout saboter. Je ne pouvais pas m’empêcher de rire… Une embûche n’attendait pas l’autre », dit-elle.
Malgré les obstacles, Lindsay a fait l’épreuve et a dépassé toutes ses attentes.
UNE PREMIÈRE VICTOIRE
Terminer son premier marathon ET de se qualifier pour le Marathon de Boston était bien au-delà des rêves les plus fous de Lindsay.
À la marque des 35 km, Lindsay savait qu’elle y arriverait. « Je savais que mon temps était bien inférieur à celui nécessaire pour se qualifier. Même si plusieurs pépins peuvent survenir dans les 7 derniers kilomètres, j’avais assez d’avance. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire. »
Le dernier segment de l’épreuve s’est bien déroulé, et Lindsay a terminé avec un excellent temps de 3:17:35 (bien en deçà du 3:35 requis pour se qualifier pour Boston). « Je me souviens juste d’avoir franchi la ligne d’arrivée, d’avoir levé les bras et d’avoir crié… Je ne devais pas avoir l’air cohérente à ce point, j’étais juste trop heureuse et épuisée. »
S’ENTRAÎNER COMME LINDSAY
Sa qualification pour Boston a eu un effet domino : Lindsay a commencé à chercher d’autres défis à se lancer. Dans la deuxième moitié de 2016, elle s’est qualifiée pour le Marathon de New York (en établissant un record personnel au demi-marathon). Elle a ensuite terminé la Cookie Run en 37:54, ce qui lui a permis de faire partie du groupe de coureurs professionnels au 10K d’Ottawa en 2017. En 2017, elle a participé au Marathon de Boston et au Marathon de New York ainsi qu’à plusieurs épreuves à Ottawa.
Actuellement, Lindsay court six jours par semaine et s’entraîne en vue du Marathon de Chicago, qui aura lieu en octobre prochain. Depuis sa blessure à l’articulation sacro-iliaque, elle a intégré des exercices d’abdominaux et de résistance dans sa routine d’entraînement.
Après tout ce qu’elle a vécu, Lindsay a changé sa perception de la course et de l’entraînement ainsi que ses objectifs personnels. « Tu t’entraînes pendant des semaines, et tout se joue réellement en une seule journée », soupire-t-elle. « J’ai fait beaucoup d’épreuves, particulièrement au cours des deux dernières années, où j’ai été déçue de mon résultat. J’essaie de mettre l’accent sur ce que j’ai appris pendant mon entraînement, sur les éléments positifs. Il y aura toujours une autre épreuve. Pourvu que tu fasses l’épreuve, tes efforts ne sont pas perdus. »
Et où Lindsay aime-t-elle le mieux courir? Son itinéraire préféré est l’ancienne voie ferrée à Russell, qui a été pavée et transformée en sentier de course. Elle passe juste derrière sa maison.
« C’est là que tout a changé », dit-elle avec nostalgie. « C’est là que j’ai passé la plupart de mon temps, où j’ai donné mon 110 %, où j’ai fait mes meilleurs entraînements. Parfois, le soleil brille au travers des branches d’arbres et un beau souvenir me revient à l’esprit, notamment quand que courais avec une poussette en vue du marathon. Ce sont des moments spéciaux pour moi. C’est ma vie. »