Trouver la raison qui nous pousse à courir : entrevue avec Alex Hutchinson
« Lorsque vous atteignez un point où vous ne pouvez pas aller plus vite ou plus loin ni maintenir votre cadence, qu’est-ce qui vous empêche de pousser davantage? »
C’est sur cette question que le célèbre coureur et écrivain scientifique Alex Hutchinson s’est penché, il y a plus de neuf ans, en vue de rédiger son dernier ouvrage de recherche, intitulé Endure: Mind, Body, and the Curiously Elastic Limits of Human Performance.
« Ce qui était au tout départ un livre sur la course est devenu un livre sur la condition humaine », indique-t-il. « Mon interprétation de l’endurance s’est approfondie. »
Même avant la décennie pendant laquelle il a consulté des milliers d’études scientifiques et des centaines de chercheurs, Alex connaissait bien les limites de l’endurance. Il était membre d’Équipe Canada en tant que coureur de demi-fond aux Jeux mondiaux universitaires, au Championnat du monde de course de fond et au Championnat du monde de course en montagne. Il a aussi participé, dans le cadre de ses recherches, au Marathon d’Ottawa Banque Scotia en 2013, où il a terminé au 53e rang.
« Nous pensons souvent que les courses sont douloureuses, mais la douleur physique est différente de la sensation d’effort », a-t-il écrit dans son article dans Runner’s World qui porte sur sa préparation psychologique en vue de la Fin de semaine des courses Tamarack d’Ottawa. Le cerveau d’Alex a été « programmé » par le chercheur Samuele Marcora de l’Université du Kent, qui définit l’effort comme étant la lutte pour continuer malgré un désir grandissant d’arrêter.
Cette définition définit aussi les aspects physiques et mentaux de l’endurance; Alex en discute d’ailleurs dans le premier chapitre de son ouvrage Endure. « Ce qui est crucial, c’est de ne pas écouter votre instinct (ralentir, reculer, abandonner) et de ne pas tenir compte de la perception du temps écoulé. »
En reconnaissant que la plupart des limites sont contrôlées par notre cerveau, les coureurs se rendent compte que l’endurance nécessaire pour faire un marathon est semblable à l’endurance dont ils ont besoin dans tout autre aspect de leur vie.
« Que ce soit pour la rédaction d’un livre, pour la préparation en vue d’un examen ou pour rester debout toute la nuit pour prendre soin d’un enfant malade », explique Alex. « Vous devez apprendre à reconnaître votre monologue intérieur et de vous assurer qu’il ne vous retient pas. »
Il faut transformer le discours intérieur négatif en un instrument de soutien qui vous motivera à vous dépasser un peu plus sans que ce soit plus difficile.
« Qu’est-ce qui passe dans votre esprit au milieu d’un marathon ou lors d’une situation stressante? Si vous vous dites “C’est terrible, je ne peux pas continuer”, vous influencez la façon dont votre cerveau interprète les signaux qu’il reçoit de votre corps. »
Alex a commencé une carrière en physique après avoir obtenu un baccalauréat en sciences de l’Université McGill et une maîtrise de l’Université Cambridge. En 2004, alors qu’il était chercheur postdoctoral à l’Université du Maryland, il a décidé de se tourner vers les médias. Il a obtenu une maîtrise en journalisme de l’Université Columbia l’année suivante. Lorsqu’il était journaliste pour le Ottawa Citizen en 2006, il a écrit un article biographique sur Joseph Nderitu, qui a gagné le Marathon d’Ottawa Banque Scotia trois années consécutives. Cet article lui a permis de gagner le Concours canadien de journalisme. Étant donné qu’il a fait des compétitions de course pendant son adolescence et sa vie de jeune adulte et qu’il a fait des études en sciences, il était tout naturel pour Alex que les deux mondes se chevauchent dans ses écrits.
« Lorsqu’on écrit au sujet de la course, on prend habituellement la tangente de “Qui a gagné”. Dans mon cas, je préfère emprunter une autre voie, soit celle qui explore la raison et la façon dont une personne gagne une course », précise-t-il.
En 2017, en tant que chroniqueur pour Runner’s World, Alex a couvert le projet secret Breaking2 de Nike.
Soutenu par les meilleurs scientifiques de Nike et un budget de 10 millions de dollars, Breaking2 avait pour objectif de pousser trois coureurs professionnels (le marathonien olympique médaillé d’or Eliud Kipchoge, le détenteur du record mondial au demi-marathon Zersenay Tadese et la championne à deux reprises du Marathon de Boston Lelisa Desisa) à courir un marathon en moins de deux heures. De ces trois athlètes est africains, le Kenyen Kipchoge a obtenu le meilleur temps, avec un temps d’à peine 26 secondes sous la barre des deux heures pour un marathon.
Alex décrit l’événement comme étant un tournant dans la poursuite des limites humaines. Selon lui, il s’agit d’une étude parfaite pour analyser l’élasticité de l’endurance.
« À ce moment-là, j’avais pratiquement terminé la rédaction du livre », dit Alex. « Par contre, le projet Breaking2 était une encapsulation si parfaite des idées que mon ouvrage véhiculait que j’ai décidé qu’il valait la peine de le réécrire. »