Elkana Yego, protégé de Korir, pourrait causer la surprise au marathon d’Ottawa Banque Scotia
par Paul Gains
Il y a seize mois, Elkana Yego participait à une course de 3 km dans sa ville de Cherangany, au Kenya. Il a surpris les spectateurs en signant une victoire facile torse nu… et pieds nus!
Le 29 mai prochain, le jeune homme de 22 ans défiera les favoris du marathon d’Ottawa Banque Scotia, une course Label d’or IAAF. Son histoire est fascinante.
À l’adolescence, Yego est un coureur de demi-fond prometteur avec un record personnel de 3 min 39 s 62 au 1 500 mètres. Un agent le prend sous son aile et il participe à quelques courses de niveau B en Europe, pour ses propres ambitions et comme meneur d’allure rémunéré. Mais les blessures ont raison de lui, son agent l’abandonne et sa carrière semble condamnée.
Mais comme un clin d’œil du destin, un des organisateurs de ce 3 km à Cherangany est Wesley Korir, député local et gagnant du marathon de Boston 2012, qui cherche des élèves pour la Transcend Running Academy. Ses collègues et lui décident d’organiser une course amicale pour coureurs plus âgés. C’est là que Yego attire son attention.
« Je lui ai demandé s’il avait des chaussures, se souvient Korir. Quand je l’ai rencontré et que je lui ai parlé pour la première fois, il avait l’air d’un gars qui avait jeté la serviette et perdu tout espoir. Son agent l’avait laissé tomber et il avait subi des blessures. Il restait à la maison et cultivait du maïs, ce qui au Kenya rime avec pauvreté. »
Korir s’arrange pour que le jeune homme participe à un camp d’entraînement à Kapsabet, mais comme ce projet tombe à l’eau, il l’invite chez lui. Depuis, Yego s’entraîne au sein d’un groupe formé entre autres de Korir et de Wilson Kipsang, ancien champion du monde du marathon.
« Il est très rapide, mais il est aussi capable de courir un 40 km et de donner un coup à la fin, affirme Korir, 4e au marathon d’Ottawa il y a deux ans et 4e au marathon de Boston la semaine dernière. Il est toujours là. Je ne l’ai jamais vu abandonner une longue course. Il est toujours là près de nous. »
« Yego et Kipsang peuvent miser sur leur vitesse. Il arrive parfois qu’ils me larguent en fin de course. Ça me réjouit de voir tout le travail qu’il a accompli. »
Korir confie que son jeune protégé est très respectueux envers lui et sa famille. Il l’appelle son « bouffon » parce qu’il fait rire toute la maisonnée, et il est comme un grand frère pour les cinq autres jeunes coureurs que Korir a pris sous son aile.
À la fin de la semaine, après leur longue sortie, Korir lui donne de l’argent pour sa femme et ses enfants. Korir est fier de voir que le jeune homme donne toujours l’argent à sa femme pour qu’elle achète de la nourriture sans jamais l’utiliser à des fins personnelles.
C’est une relation dont tous tirent leur compte, mais la chance d’être entouré d’entraîneurs talentueux a été tout particulièrement profitable pour Yego.
« Courir avec Wesley et Wilson me donne confiance en mes capacités, et le fait d’être encadré par des marathoniens aguerris m’aide beaucoup », dit Yego d’une voix douce.
« En m’entraînant avec Wesley, je peux aller là où je veux, que ce soit pour un entraînement sur piste ou pour une longue sortie, puisque j’ai accès à un véhicule. Parfois je cours seul avec Wesley, et d’autres fois nous allons retrouver un groupe de coureurs. »
Comme c’est le cas de nombreux Africains de l’Est vivant à la campagne, Yego devait marcher longtemps pour se rendre à l’école primaire. Il se souvient très bien de cette époque où s’est esquissée sa carrière de coureur.
« On voyait des coureurs qui s’entraînaient sur le chemin de l’école et on courait derrière eux », se souvient-il.
« Un de mes voisins, qui était coureur de marathon, nous a donné des vêtements et des chaussures pour qu’on se mette à la course quand j’étais à l’école primaire. Et Samuel Kemboi Ruto a remporté le marathon de Turin l’an dernier en Italie. On était dans la même classe et on a déjà habité sous le même toit. »
Récemment, Korir a encouragé Yego à participer au marathon d’Eldoret, au Kenya, pour évaluer sa condition physique, voir comment il s’adaptait à la distance et l’aider à se préparer mentalement pour Ottawa. Il lui a conseillé de rester derrière les meneurs jusqu’aux deux derniers kilomètres, puis d’essayer de les dépasser.
De toute évidence, le jeune coureur a suivi le conseil puisqu’il est allé chercher les meneurs en fin de course pour se hisser dans le top 10, avec un temps de 2 h 19 min. À une altitude de plus de 2 000 mètres, c’est un excellent chrono.
Korir espère que Yego saura également rester patient au marathon d’Ottawa. S’il y parvient, il pourrait bien être la révélation de l’année.
« Je crois que le meilleur conseil que je puisse lui donner, c’est de relaxer à son arrivée à Ottawa, affirme Korir. Il est rapide comme pas un dans cette course. Il suffit qu’il ait confiance en sa forme. Je lui répète que le marathon est une très longue course. Il doit être patient et attendre jusqu’aux deux derniers kilomètres. »
« Je crois qu’il peut finir en 2 h 06 sur un parcours plat comme celui d’Ottawa. Le seul problème que j’entrevois, c’est le manque d’expérience. Mais s’il demeure très patient, je crois qu’il peut le faire en 2 h 06 min. Et même sans expérience, je dis qu’il peut le faire en 2 h 08 min. »
L’objectif de Yego est simple : gagner. La victoire lui ouvrirait de nouveaux horizons dans sa prometteuse carrière et donnerait peut-être aussi espoir à d’autres.